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8 mai 2010 6 08 /05 /mai /2010 06:11

 

 

·         Association italienne du zen soto : Le Grand livre du zen, éditions de Vecchi.

·         Daisetz Suzuki : Esprit zen, esprit neuf, Seuil.

·         Teisen Deshimaru : Pratique du zen, Albin Michel.

·         Teisen Deshimaru : Vrai zen, Courrier du livre.

·         Maître Dôgen : Polir la lune, labourez les nuages, Albin Michel.

·         Jacques Brosse : Zen et Occident, Albin Michel

        

            La première chose à faire, pour saisir le fondement même du Zen, c’est de refermer  la revue dans laquelle vous lisez ce texte. Levez-vous, allez vous asseoir face au mur de votre chambre, laissez passer vos pensées, sans les appréhender, ni les vouloir, ni les retenir. Essayez d’atteindre la non-pensée. Concentrez-vous sur votre respiration et surtout sur une longue expiration. Le Zen ne s’explique pas, il s’expérimente par Zazen[1].  Il convient d’abandonner ici toutes les références derrière lesquelles, en tant qu’occidentaux, nous nous retranchons sans plus même nous en apercevoir. Que nous soyons plutôt idéaliste ou plutôt matérialiste, il nous faut abandonner toutes les constructions possibles de l’ego, c’est-à-dire tout système de pensée, qu’il nous soit propre ou non, pour prendre conscience de la réalité telle qu’elle est.

 

I./ Que peut-être le Zen ?

 

            Le zen s’affirme par la négative :

Le Zen n’est pas une religion : il n’y a pas de Dieu à célébrer, ni d’écrits sacrés[2], ni de messie[3]. Quant à Bouddha, il n'est pas une divinité pour les pratiquants de zazen, mais seulement le modèle des qualités humaines nécessaires à l'atteinte du Satori[4] et à l'émergence du Bouddha qui est en chacun de nous.

Le Zen n’est pas non plus une philosophie : en effet, le Zen ne répond aucunement aux interrogations existentielles et métaphysiques et il n’est pas systématique. Il peut être philosophique en ce sens où, il nous force à poser les bonnes questions. Si la philosophie est l’art de poser les bonnes questions, comme le veut Heidegger, alors le Zen se rapprochera plutôt d’une philosophie[5]. Mais en affirmant cela, on pollue l’esprit même du Zen.  Le zen ne pose pas de questions, si ce n’est d’énigmatiques koans : « Quel était le visage de tes parents avant ta naissance ? ».

Est-il alors une sagesse ? Il ne l’est pas plus. Le Zen (du sanscrit dhyàna et du chinois chan) signifie rien de plus que « le vrai et profond silence ». Il est selon maître Sekito Kisen, « le résultat de l’étude de la maîtrise de soi ; le résultat de la pratique  -zazen- est le déclin des émotions négatives ». Le zen ne se borne pourtant pas uniquement à un self-control, notamment de l’hyperactivité (Sanran). Il est à la fois bien plus et bien moins. Il est la condition originelle de l’homme, celle que le bouddha (Shakyamuni) a expérimenté après des années d’errance.

Dans le Zen, il n’y a pas de recherche d’autre chose que de la réalité, qui peut devenir Satori (l’éveil).  Mais cet éveil, ce nirvana n’est rien d’autre que la réalité telle qu’elle est[6]. Nous atteignons le nirvana notamment lorsque nous ne sommes plus affectés négativement par l’impermanence de la vie. Nous sommes bien loin des extases mystiques de Bernadette Soubirou du côté de Lourdes ! En revanche cette conception « zen » de la béatitude est proche de celle de Spinoza. Pour ce dernier, il y a une primauté du corps[7], une connaissance adéquate (comprendre une vue juste de la réalité), et éventuellement l’atteinte de la béatitude, dans la libération[8]. Or le zen n’est rien d’autre que la voie de la libération[9].

Voici ce que livre un moine zen français, du nom de Kaisen :

« Le Zen, ce n’est pas la sagesse, c’est la réalité telle qu’elle est. Le Zen, c’est la voie de la solitude: Penser par soi-même. Agir par soi-même. Pratiquer par soi-même. Souffrir en soi-même ».

Nous avions déjà dit que le zen n’était pas une idéologie religieuse qui prétend amener l’homme à un état transcendant. Le zen n’amène qu’à la réalité, et c’est déjà beaucoup ! Kaisen de surenchérir :

 « Le Zen, c’est avant tout savoir vivre et savoir mourir. Le Zen n’est pas un moule à fabriquer des bouddhistes. L’homme seul est responsable de ses pensées, de ses paroles et de ses actions.  Personne ne peut respirer à sa place. Il n’y a personne au-dessus de lui et personne en-dessous. Il n’y a personne ni rien à vénérer, aucune idéologie. La réalité du Zen n’est rien d’autre que la réalité telle qu’elle est ».

Aucune religion ne serait suffisamment folle pour éviter le prosélytisme, le « moule à conformer », ni suffisamment suicidaire pour prétendre qu’elle n'apporte rien, et qu'il faut s’en sortir soi-même ! Le zen ni religion, ni philosophie, ose affirmer pourtant cela. Mais Kaisen continue son exposé sur le « zen de la sincérité » en plaçant cette réplique qu’un marxiste n’aurait pas renié :

« Pourquoi est-ce que tout le monde peut pratiquer zazen ? Parce que tout le monde possède un corps de matière. Lorsque nous nous éveillons à la conscience de la matière, il est possible de se libérer de toutes les entraves et d’élargir la conscience bien au-delà de nos habitudes, de nos connaissances et de notre petit être. Le poussin qui vient au monde ne peut naître qu’en brisant la coquille. Cette coquille n’est pas spirituelle. C’est une carapace de matière faite de protéines et de tous les minéraux du monde. Il est impossible de s’éveiller en dehors de la matière. Aussi, sans pratique, toute spiritualité n’est que rêve, illusion et projection mentale. Cette posture n’est ni Zen, ni bouddhiste, ni chrétienne.  Elle est la libération de tout ce que vous avez enfermé si précieusement dans les habitudes de ce corps. Face à la mort, personne ne viendra vous sauver. Il est temps de vous éveiller à la réalité telle qu’elle est ».

Le zen n’est pas un idéalisme. Souvent, il s’avère très proche du matérialisme développé en Occident, puisque la réalité telle qu’elle est, est matérielle. Contrairement à tous les systèmes religieux et  spirituels, il ne nie pas la nécessité de la matière. Etre dans le monde, comme le veut le pratiquant de zazen, c’est être-au-monde, ici-bas, sans espoir d’un au-delà idéel. Fichte se meurt une nouvelle fois ! Comment pourrions nous définir encore plus simplement le zen ?

« Le zen, c'est simplement s'asseoir, sans pensée, en oubliant le corps et l'esprit. Abandonnez corps et esprit et installez-vous en plein bouddhisme en pratiquant avec les autres, sans a priori, et alors vous atteindrez la voie »

disait Dôgen. Il n’existe pas non plus de dichtomonie entre bien et mal. Comme dit Deshimaru : « Dans le zen, le bien devient parfois le mal, et le mal, le bien »[10]. Le zen n’est pas non plus une morale !

Nous avons tenté de répondre à la question « que peut-être le Zen ? ». Il n’est pas dit pour autant que le Zen soit ce que l’on décrive ici. C’est pourquoi nous avons évité la question affirmative et assurée « Qu’est-ce le Zen ? ». N’oublions pas que certains maîtres zen le définissent ainsi : Le zen serait comme une épée, sans lame, sans poignet, sans garde et sans fourreau !

 

II./ Les principes du Zen

 

·         La vie est impermanence (Mujo).

C’est ici le point de départ de la conception du monde de Bouddha. Rien ne subsiste. La personne a qui nous avons parlé hier, peut avoir disparu aujourd’hui. Il en va de même pour nous. Accepter cet état de fait, cette réalité, c’est accepter la nature. C’est le changement, le mouvement qui compte dans le zen, même s’il est médiation dans l’immobilité. Le zen admet la dialectique. L’immobilité dans la nature n’est qu’une illusion : les saisons varient, le soleil n’est pas toujours au zénith et nous sommes compris entre la vie et la mort (Shoji). La mort elle-même engendre à nouveau la vie…  L’homme contemporain a surtout tendance à croire qu’il vit dans un état de culture, et qu’il n’est plus compris dans la nature, dans l’ordre cosmique. De la sorte, il se détache de plus en plus de la condition originelle de l’homme[11]. C’est sans doute pourquoi l’homme prend aussi peu soin de son environnement. Or, l’homme est profondément compris dans la nature, et l’erreur flagrante de l’homme contemporain est de s’en croire détaché. On obtient l’éveil (satori) en acceptant et en se rendant compte de l’impermanence. C’est le non-attachement (aux objets, aux personnes, aux honneurs, aux valeurs).

·         La vie est souffrance.

 Le zen ne prétend pas assurer une réponse, un « confort » face à la souffrance, il souhaite juste accompagner l’homme dans sa souffrance :

« Etudier ou recourir au zen n’est pas repousser la souffrance »[12].

Néanmoins la prise en considération de l’impermanence permet de contrecarrer la souffrance de manière très nette. Cependant, certaines souffrances restent présentes, les maîtres zen ne le nient pas :

« Supposez que vos enfants souffrent d’une maladie incurable. Vous ne savez que faire : vous ne pouvez rester étendu sur votre lit. (…) Vous pouvez marcher de long en large, sortir et rentrer, cela ne vous est d’aucune aide.  Le meilleur moyen de soulager la souffrance est ,en fait, de vous asseoir en zazen, même dans un état d’esprit aussi confus et une posture aussi mauvaise. Si vous n’avez jamais fait zazen dans une situation difficile, vous n’êtes pas une disciple zen. Aucune activité n’apaisera votre souffrance »[13].

 Bien sûr, cette réponse paraît facile, car à chaque instant, un maître zen vous répondra invariablement qu’il faut faire zazen. Suzuki répond lui-même à cette objection possible :

« Quand vous êtes mal à l’aise, le meilleur moyen est de vous asseoir en zazen. Il n’y a pas d’autre moyen d’accepter votre problème et d’y travailler »[14].

 Les problèmes empirent lorsqu’ils ne sont pas acceptés, nous le savons tous : névroses et troubles psychiques peuvent trouver ici leurs fondements. Mais bien plus, il faut accepter la réalité telle qu’elle est, puisque nous n’avons qu’une emprise  limitée sur elle. Il faut donc éviter qu’elle puisse avoir emprise sur nous.  Mais prendre conscience, c’est pouvoir « travailler » également à la résorption des problèmes. Comme le dit Suzuki, les « mauvaises herbes », comprenez les problèmes, sont un véritable trésor. De plus, ce qui est désormais certain, c’est l’apport de zazen dans la maîtrise de soi. Depuis longtemps, Taisen Deshimaru ne s’est pas contenté d’enseigner zazen, mais également de tenter de prouver scientifiquement que zazen apaise réellement, matériellement, le corps et le cerveau[15]. Zazen est pour lui un moyen de contrôle par le corps. Par l’électroencéphalogramme, il a été prouvé à de nombreuses reprises que le cerveau s’apaise pendant zazen, dans un état proche du sommeil réparateur, sans devenir pour autant une torpeur. Mais chacun de nous peut tester ce petit fait : En cas de tension, essayons de respirer profondément et calmement, expirons longuement, et l’on s’apercevra vite du bienfait de ce petit geste. Simplement n’oublions pas ce que disait Deshimaru : « Soigner n’est pas le but du zen »[16]. Dôgen renchérit :

 « Souffrir d’un mal incurable qui demande des soins et ne pas y recourir parce que vous êtes mourant est réellement insensé »[17].

  Il ne faut pas non plus se plaindre de la souffrance. Une mauvaise herbe est un trésor. Le zen se rapproche souvent de l’ataraxie stoïcienne[18].

·         La vie doit tendre au non-ego (Muga).

L’homme doit abandonner son ego, ainsi comme le dit Kodo Sawaki :

 « Les hommes changent tout le temps, du matin au soir. Ils continuent de changer comme des caméléons et ils arrivent ainsi jusqu'à la mort sans trouver leur vérité. C'est ce que l'on appelle des fantômes. Voir tous les phénomènes tels qu'ils sont, c'est voir le Bouddha. De même avec des jumelles, selon que l'on regarde dans un sens ou dans l'autre, on voit grand ou petit. Mais il est difficile d'échapper au mauvais point de vue. Tous les gens continuent à se tromper en parlant et en discutant. J'ai pitié de ces gens-là ».

Ce n’est pas la disparition du sujet, puisque nous sommes responsables de nos actes, mais il s’agit de voir la réalité telle qu’elle est et de cesser de se laisser guider par l’ego petit et mesquin.  Ainsi, il convient de cesser de dire, pour commencer à faire.

 

·         C’est aboutir finalement à la non-peur.

 

La peur est lié à l’attachement à soi-même et aux choses qui sont à l’origine de l’angoisse. Ceci explique que l’ordination des moines zen implique la conception de non-attachement, notamment par rapport à la famille, ce qui ne signifie pas la négation ou le reniement, bien au contraire. La plupart des peurs sont irrationnelles, non liées généralement à un danger immédiat et sont le fruit des illusions diverses (bonnos). La non-peur est la conscience qui laisse venir les émotions, sans s’identifier à elles. Voici un conte zen :

« Un jeune homme perdit sa femme dans la fleur de l’âge. Celle-ci avait été belle, mais un peu acariâtre et affreusement jalouse. Après un deuil de bon aloi, qui dura six mois, le jeune homme sentit avec le printemps naître des émotions nouvelles. Il chercha femme, et bientôt se fiança à la délicieuse Yoyohi, dont le nom chantait comme un gazouillis de mésanges, comme le froissement de la soie sur un éventail. Bref, le jeune veuf était amoureux, et il était plus heureux qu’il ne l'avait jamais été avec sa précédente épouse. C'est alors que le fantôme de sa femme se manifesta pour la première fois. Une nuit alors qu'il dormait paisiblement sur son tatami, il sentit un courant d'air froid lui chatouiller la plante des pieds, il s'éveilla. Kyrioka était devant lui. Là belle, quoique évanescente, semblait furieuse, et n'avait rien perdu de son humeur jalouse :

- Comment oses-tu, dit-elle, me tromper avec une petite sotte, sans beauté, qui, ajouta-t-elle avec perfidie, porte une tache de naissance fort disgracieuse sur le sein gauche.

- Comment sais-tu cela ?  interrogea le pauvre mari, stupéfait.  Au Royaume des morts, nous avons accès aux mystères, et nous connaissons toutes choses cachées à vos yeux de mortels.
La belle s'en fut. Le mari encore tremblant de frayeur ne dormit plus cette nuit-là.
A partir de cet instant, l'existence d'Heiyoshi devint un enfer. (…) Assise au pied de sa natte, son épouse décédée tournait en dérision tous ses faits et gestes de la journée, elle imitait en ricanant leurs tendres propos. Elle lui rappelait leurs anciennes amours, et lui répétait :
- Je sais tout de toi, et ce savoir t'enchaîne. Ta vie est à moi seule, à moi !

Le malheureux, à bout de forces et près de perdre la raison, se confia à un ami, qui lui conseilla d'aller consulter un célèbre maître du Zen vivant en ermite dans l'ancien temple de Kenninji. Le voyage fut long et difficile. Enfin Heiyoshi parvint aux pieds du maître, et lui conta son infortune.

-Ta femme est devenue un fantôme, et elle sait tout de toi.

-Oui, Maître, vous comprenez, habitant le pays des morts, elle a accès à ces mystères qui nous dépassent elle connaît le passé, l'avenir et fouille à son gré dans mes moindres pensées.
- Je vois, dit le maître en se grattant un orteil avec un petit bâton de bambou, car il avait plu et un peu de boue avait éclaboussé ses pieds nus dans les sandales.

-  Je vois...

- Que dois-je faire, Maître ?

- Tu es jeune, Heiyoshi, ton coeur est neuf et tendre. Il est aisé d'assurer son pouvoir sur toi. Je vais t'aider.

Le jeune veuf se confondit en remerciements, et déclara :

- Je suivrai vos conseils, Maître, je m'y conformerai en tout point indiquez-moi seulement la voie.
- Quand le fantôme de ton épouse apparaîtra, confesse humblement ton ignorance, loue ses étonnantes connaissances, en un mot flatte-la, et propose-lui un marché : Si tu peux répondre à une dernière question, je serai définitivement convaincu de tes pouvoirs surnaturels, je renoncerai à Yoyohi, qui n'est qu'une simple mortelle, et je serai ton époux fidèle à jamais.

- Hélas ! s'exclama Heiyoshi, c'est elle qui va emporter, j'en suis sûr ! Ce qu'elle ne sait elle le devine, rien de ce que je fais ou pense ne lui est caché...

-  Suis mon conseil, déclara un peu rudement le maître, ou, si tu ne veux pas m'écouter, va-t-en !

Heiyoshi, troublé, affolé, acquiesça :

- Je vous obéirai, Maître.

- Prends dans ta main droite fermée une grosse poignée de graines de soja et demande-lui combien il y en a.

- C'est tout ? demanda Heiyoshi.

Le maître du Zen ne répondit pas. Il s'était installé en zazen et méditait.
Heiyoshi rentra chez lui. La nuit même, le fantôme de son épouse réapparut :
- Tu es allé rendre visite à un maître du Zen, ricanait-elle, croyais-tu que je l'ignorais, et pensais-tu pouvoir m'échapper ?

Heiyoshi plongea alors sa main droite dans un tas de soja, en saisit une grosse poignée qu'il présenta dans sa main fermée :

- Combien y a-t-il de graines ?  demanda-t-il.

Le fantôme de Kyrioka se dissipa dans l'air et ne reparut jamais. Faire zazen, c’est à chaque fois entrer dans son cercueil. Voilà comment l’on dissipe les fantômes les plus tenaces. »


 

 

                S’asseoir en zazen, c’est trouver sa propre libération, sa propre émancipation (gedatsu). Il faut saisir pour cela les « Quatre Nobles Vérités » :

1.      Il y a la souffrance

2.      La souffrance provient de l'attachement à nos désirs

3.      La souffrance cesse lorsque cesse l'attachement aux désirs

4.      On peut se libérer de la souffrance en pratiquant l'Octuple Noble Sentier.

5.       

« L’Octople sentier » se décline comme suit :

 

Les Trois qualités

L’Octuple Sentier

Sagesse (prajñâ)

Vue correcte

 

Pensée correcte

Moralité (sila)

Parole juste

 

Action juste

 

Vie juste

Méditation (samadhi)

Effort approprié

 

Attention appropriée

 

Concentration appropriée

 

Le zen n’est pas un commerce avec l’au-delà, mais avec la seule réalité matérielle. Il doit être mushotoku, sans but ni objet. Il s’agit de s’asseoir, tout simplement, et ne rien fait d’autre (Shikantaza). Il s’agit d’être soi-même Bouddha, d’être ce que Jacques Brosse nomme « l’homme primordial ». Avec un peu de pratique, on peut espérer le satori, qui est « compréhension et, de ce fait, libération ».

 

III./ La philosophie du zen

 

            S’il y a une philosophie du zen, c’est-à-dire une tentative de réflexion sur « les choses de la vie », celle-ci passe souvent par de petites histoires amusantes, qui deviennent souvent des « problèmes contradictoires de l’existence » (koans). Il en va ainsi dans le sutra de Honshyo : Un homme avait un fils idiot, mais honnête et dévoué. Un jour père et fils s’en vont à la montagne. Pris de l’envie de faire une sieste, père et fils se couchent dans l’herbe. Le père s’endort. Soudain, un moustique s’apprête à se poser sur la tête chauve du père. Le fils voyant cela s’arme d’un bâton et frappe le moustique sur la tête de son père. Le moustique s’envole et le père trouva ainsi la mort, assommé. Ces petites histoires dont les occidentaux ne peuvent s’empêcher de ponctuer d’un « et après ? », signe d’une évidente incompréhension de l’esprit zen, figurent la possible philosophie du zen. Nous sommes bien loin des traités philosophiques occidentaux à l’image de la critique de la raison pure. Il n’y a pas de volonté de systématisation, mais uniquement la volonté de faire passer une réflexion entre deux zazen. Pour Shunryu Suzuki :

« Pratiquer ainsi [le zazen] vaut bien mieux que de lire des livres ou étudier la philosophie bouddhiste. La philosophie bouddhique est si universelle et si logique [qu’elle est] celle de la vie même »[19].

            De plus, l’un des fondements du zen est de procéder à une éducation par-delà les textes, par l’expérience. Le bouddhisme, et le zen en particulier, est une conception du monde (de « l’ordre cosmique ») non systématisée, car rétif à toute systématisation. Il s’agit d’un éveil à la prise de conscience de l’ordre et de la réalité du monde. Schopenhauer, premier grand philosophe occidental ayant étudié les théories bouddhistes disait :

« Je tue un animal, un oiseau, grenouille ou insecte même seulement : n’est-il pas proprement inconcevable que cet être, ou plutôt sa force originel, en vertu de laquelle un phénomène si merveilleux apparaissait encore l’instant d’auparavant dans toute son énergie et sa vitalité doive être anéantie par le fait de ma méchanceté et mon étourderie ? »[20].

L’ordre du monde ne doit pas perturbé, car tout cela peut avoir une incidence sur l’avenir, il faut donc prendre soin dans notre monde ambiant. Le zen est avant-tout une pratique : Les professeurs de philosophie seraient bien embêtés de devoir apprendre à leur élève la dialectique hégélienne par l’expérience ! (Par compassion, ne parlons pas du dualisme cartésien).

 

IV./ La nécessaire expérience du zen

 

Pour pratiquer le Zen, il faut faire zazen. Il s'agit de s'asseoir, comme nous l’avons dit,  mais pas dans n'importe quelle position. La position idéale est celle du lotus ou du demi-lotus. Le dos doit être droit (c'est essentiel), la respiration contrôlée et l'esprit concentré au delà de la pensée. Le zen tient en ce qu’il est très simple : Il s’agit simplement de se mettre assis, mais en même temps, il devient le plus difficile, car rester assis sans rien faire, c’est le plus difficile. Si l'on en croit Dôgen, on doit être habité par un sentiment de dignité et de grandeur. L'esprit doit se libérer de tout ce qui est formes, pensées, visions, objets, imaginations si intéressantes soient-elles, pour arriver peu à peu à un état de vide absolu. Zazen n’est pas une méditation, en ce sens que pour méditer il faut concentrer son esprit sur quelque chose. Ici, c’est tout l’inverse. C’est finalement, une méditation par le corps. Pour zazen, on s'assied sur le Zafu, un petit coussin épais et dur qui permet de redresser la colonne vertébrale et, en gardant les genoux en contact avec le sol, afin de faciliter l'équilibre. C’est tout ! Réaliser la réalité, c’est vivre dit Suzuki. Le Zen n'endoctrine personne car il n'a pas de doctrine. Le Zen n'enrichit personne car il se réclame de la pure pauvreté. Le Zen cherche seulement à faire découvrir à chacun sa véritable personnalité profonde dans l'unité du corps et de l'esprit dans l’ordre cosmique, le vrai Dharma (les lois régissant l’univers). Le Zen n'est pas sectaire, il est ouvert à toutes les démarches spirituelles et philosophiques. Il peut donc se pratiquer, sans contradiction avec ses propres convictions, y compris l’athéisme[21].  Il enseigne seulement une posture du corps toute simple, une respiration naturelle qui peut conduire à la liberté absolue, ce que Spinoza aurait dénommé la « béatitude ». Mais ici, répétons-le, inutile de croire que le zen vous amènera à un état ek-statique. Le zen vous amènera à  voir la réalité des faits, fusse-t-elle triste. Le zen ne réglera pas vos problèmes de contraventions et d’embouteillages. Il est sans but, ni profit ! (Mushotoku). Zazen, c’est devenir soi-même une grenouille, comme le précise Suzuki :

 « Regardez la grenouille : une grenouille aussi s’assied comme nous, mais elle ne se fait aucune idée de zazen. Observez-la. Si quelque chose l’ennuie, elle fera la grimace. S’il se présente un insecte à manger, elle le happera et le mangera et elle mange assise »[22].

Le zen est aussi nécessaire qu’un verre d’eau, la soif venue.

Dans notre époque unidimensionnelle spectaculaire où la plupart des individus sont conditionnés et dirigés par le souci du plus grand profit, en prenant l’illusion, l’irréalité, pour la vérité et la réalité,  le Zen enseigne comment s'asseoir sans esprit de profit, sans recherche du moindre avantage. Ceci conviendra fort peu aux discours de notre société libérale. Abandonner son ego, lâcher prise, abandonner sa personnalité apparente pour retrouver son identité profonde, voilà ce que vous apportera le zen. Le zen ne sera jamais une quête spirituelle faite de réponses préparées et adéquates. Il ne remplacera donc jamais le spectacle et ses propagateurs, la télévision et ses crétineries :

« Dans sa tentative de fuir la difficulté l’homme s’est tellement  affaibli qu’il arrive plus à maîtriser le stress : il a sans cesse besoin de « vacances ». C’est ainsi que, machinalement ou non, nous appuyons sur le bouton du téléviseur »[23]

Jacques Brosse pose finalement une interrogation essentielle :

 « Se pose donc la question de savoir si le zen, discipline personnelle est encore bouddhiste ou non »[24] :

Vaste question ! Enfin, la parole de fin revient à Suzuki : « Le zen n’est pas un certain art de vivre exotique et spécial ». A bon entendeur… N’oublions pas que le zen n’est rien de plus qu’un lâcher prise ! Alors, lâchons prise, et laisser nous saisir par la vacuité !



[1] « Le Zen est une transmission spéciale en dehors des textes » disait Bodhidharma, l’un des patriarches du Chan et importateur du Chan (qui deviendra le zen) en Chine.

[2] Il subsiste des écrits fondateurs, comme les sutras de Bouddha ou comme le Shogobenzo de Dogen Kigen. Mais il n’y a pas de valeur « sacralisée » de ces écrits, comme dans les religions monothéistes ou même dans le bouddhisme tibétain.

[3] Le bouddha historique (Shakyamuni) est lui-même considéré comme un homme, tout d’abord errant dans les illusions de l’hindouisme (mortification, célébrations…) puis  trouvant l’éveil (Satori) en devenant l’éveillé (bouddha) en se mettant en posture de zazen. L’enseignement de Bouddha est celle de l’expérience vécue. Un célèbre maître zen (Immon) répondait à l’un de ses élèves, au sujet de la nature de bouddha, en disant qu’il était une « spatule à merde ». Bouddha est partout et en chacun de nous. Il est une immanence. Il peut-être aussi bien dans une statuette en bronze que dans une « spatule à merde ! » Il nous faut réaliser le bouddha qui est en nous par zazen. Ceci ressemble furieusement à la conception divine de Spinoza.

[4] L’éveil, c’est-à-dire la vision claire de ce qui est.

[5] Il est à noter que Heidegger aura bénéficié d’une approche de la philosophie zen, par l’un de ses voisins, qui lui a fait lire le professeur Daisetz Suzuki ( à ne pas confondre avec Shuryu Suzuki), premier « importateur » du Zen en occident. A noter aussi que le zen reste avant-tout silence et vacuité, méditation par le corps.

[6] Un koan célèbre dit qu’un élève demanda un jour à un maître ce qu’était l’éveil. Ce dernier pris sa sandale, lui assena un  violent coup derrière la tête de son élève, et lui répondit qu’il s’agissait de l’éveil !

[7] Ethique, III, Prop. 2, scolie.

[8] Relire l’Ethique ne serait pas du luxe ! Ce n’est pas une transmission au-delà des textes, mais son intérêt est réel.

[9] Le zen est ainsi une voie qui nous permet de briser, nous-mêmes, nos propres chaînes.

[10] Taisen Deshimaru : Zen et vie quotidienne, p.227. 

[11] Il se bat pour vivre de plus en plus longtemps, de plus en plus mal (dépressions, hyperactivité, maintien artificiel de la vie…)

[12] Grand livre du Zen, p. 51

[13] Suzuki : Esprit zen, esprit neuf, p. 54.

[14] Ibid.

[15] D’intéressantes conclusions sont données dans le livre Zen et self-control, Albin Michel et Zen et cerveau, Courrier du livre. 

[16] Zen et self-control, p. 138.

[17] Ibid.,p.51.

[18] Bien que la philosophie stoïcienne diffère nettement du zen, cela va s’en dire !

[19] Suzuki : Esprit zen, esprit neuf, p. 165.

[20] Schopenhauer : Le monde comme volonté et comme représentation, p. 1219, PUF.

[21] Deshimaru livre que le zen est athée, si on pense le theos, c’est-à-dire le dieu transcendant.

[22] Idib.,p.103

[23] Grand livre du zen, p. 135.

[24] Jacues Brosse : Zen et occident, p. 127.

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26 avril 2010 1 26 /04 /avril /2010 06:26

DD12 

Pendant la révolution culturelle chinoise, un important mouvement de lutte contre Confucius avait démarré. C'était la lutte du nouveau contre l'ancien, une lutte dialectique.

 

Le but du diazibao dialectique est de gagner pour le versant français et européen, les lignes de force de la lutte idéologique contre les esprits anciens, contre notre confucianisme qui tient souvent dans le romantisme et les doctrines irrationnalistes comme celles de Schopenhauer, Nietzsche, Bergson, Sartre, Camus et comprendre comment toutes participent,  malgré leurs différences significatives, à un projet commun de la bourgeoisie.

 

Ces idéologies ne parviennent pas pour autant à rendre compte de la nature même du monde, en ce qui a de complexe, de changeant, de merveilleux.

 

Ces idéologies défendent tous une conception du monde métaphysique, où l'homme individuellement est mis au centre des intérêts, en niant la capacité créatrice des masses, car ce sont elles les locomotives de l'histoire.

 

L'homme dans ces doctrines est anxieux, peureux, rentranché des siens. Il voit le monde comme une unité fixe, invariable, comme un objet qui lui est dû, tout entier.

 

Toutes ces idéologies se trompent pourtant. Nous verrons pourquoi au fur et à mesure.

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24 avril 2010 6 24 /04 /avril /2010 06:03

Le DAZIBAO DIALECTIQUE doit unifier et édifier la science prolétarianne, donc pas celle des élites qui est une science bourgeoise (d'ailleurs  teintée de nos jours d'IRRATIONNALISME, ce qui explique grandement la montée de l'obscurantisme religieux et politique en somme du FASCISME).

Atteindre une certaine CULTURE nécessaire pour ériger la SCIENCE   suppose du capital ECONOMIQUE, car le savoir s'achete (cours,   livres...) et aussi un capital CULTUREL (pouvoir maitriser les   concepts obscurs, avoir du temps disponible et non du temps de   restitution de la force de travail...).

Le DAZIBAO DIALECTIQUE doit permettre à tous d'accéder non à la   CULTURE bourgeoise  mais par la dialectique , le mouvement du monde,  apporter les clés de lecture de la culture bourgeoise afin de la  dépasser.

Le DAZIBAO DIALECTIQUE tentera de présenter la bibliothèque "idéale"   des thèses et idéologies  qui permettra de comprendre la SOCIETE  BOURGEOISE qui detient la culture donc la SCIENCE, afin de saisir  l'IRRATIONNALITE du monde sous couvert de technologie, qui pousse le  prolétariat a devenir SCHIZOMETROPOLITAIN.

 

Les masses, et notamment le prolétariat, n'ont pas le temps de se consacrer à l'étude, les journées sont cadencées par la bourgeoisie pour qu'il en soit ainsi.


Il faudra ici  analyser les discours mortifères de la bourgeoisie  qui tente de tirer la couverture  à elle en prenant en otage la  CULTURE  (afin que le peuple ne s'en empare pas), comprendre pourquoi   les ideologues  PLATON, AUGUSTIN,MAHOMMET, KANT, SCHOPENHAUER,  GOETHE,  NIETZSCHE, FREUD, WITTGENSTEIN,HEIDEGGER, CIORAN, CELINE semblent l'emporter de  nos jours.

C'est sera l'une des façons de résorber partiellement la CONTRADICTION  TRAVAIL MANUEL-TRAVAIL INTELLECTUEL ici et maintenant, en soulignant  que seule une REVOLUTION CULTURELLE permettra de résorber   complètement cette contradiction fondamentale entre BOURGEOISIE et  PROLETARIAT.

Seule la REVOLUTION permettra le developpement d'une révolution  culturelle.

Vive la culture populaire!

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