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28 avril 2010 3 28 /04 /avril /2010 06:28

      Jean Ferrat est mort dernièrement, et une véritable hagiographie bourgeoise a déferlé dans les médias bourgeois à son propos, signe, comme le soulignait le site Contre-informations.fr, que ce chanteur était complétement englué dans le système, sous ses apparences rebelles.

 

       C'est l'occasion pour nous de nous intereser à une autre figure de la chanson francaise, actuellement en tournée, il s'agit de Jacques Dutronc.


     Connu comme un chanteur amateur de calembourgs (les gars de la narinel'hymne à l'amour, moi l'noeud) et de textes légers (la compapayade) , la critique bourgeoise oublie souvent des aspects de l'œuvre de Dutronc, qui ne passe pas, lui aux yeux des critiques, pour un chanteur engagé et pourtant....

 

DD19



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
- tout d'abord il faut rappeler que Jacques Dutronc est apparu en opposition aux "yéyés". Ces derniers adaptaient des chansons américaines aux rimes simplistes, laissant libre cours à une pseudo-révolte petite-bourgeoise (ex: « Les élucubrations » d'Antoine) ou   à des ballades romantiques niaises (ex: « Et j'entends siffler le train » de Richard Anthony). Ainsi La chanson « Mini mini mini » est une parodie critique, des yéyés mentionnés.

 

-Dutronc reste  donc un artiste de rock garage, comme le témoigne   d'ailleurs les arrangements de sa dernière tournée en cours qui   décontenancent parfois un public vieillissant imaginant avoir à faire   à un chanteur de variété bien tranquille comme l'on laissé croire  longtemps les médias; 

 

-l'apparente légèreté  des textes de Dutronc (souvent co-écrit avec Jacques Lanzman dans les années 60) et la musique rock semblent  ne pas l'inscrire dans les artistes « rive-gauche » engagés comme   Mouloudji, Montant ou bien entendu Ferrat, en somme dans une sorte « d’école » de la chanson réaliste française, mortifère, ennuyeuse, adressée à   l'élite culturelle, dont Coluche se moquera d’ailleurs quelques années plus tard (« Misère, misère »).

 

Et pourtant il suffit de se pencher sur certaines  chansons même très connues pour se rendre à l'évidence: Dutronc  critique les conventions bourgeoises tout azimut dont la chanson  les cactus  est finalement la synthèse. Cette chanson résume tout l’égoïsme et l’individualisme du capitalisme : 


 

 

« Dans leurs coeurs, il y a des cactus 
Dans leurs porte-feuilles, il y a des cactus 
Sous leurs pieds, il y a des cactus 
Dans leurs gilets, il y a des cactus 
Aïe aïe aïe, ouille ouille ouille, aïe 
 
Pour me défendre de leurs cactus 
A mon tour j'ai mis des cactus 
Dans mon lit, j'ai mis des cactus 
Dans mon slip, j'ai mis des cactus 
Aïe aïe aïe, ouille, aïe aïe aïe 
»

 
Jacques Dutronc  va toujours prendre la défense des masses laborieuses et du prolétariat, ou tout du moins les citer comme pour souligner leur présence, même dans les chansons les plus légères où lorsque dans  j’aime les filles  par exemple, après avoir parlé des hauts lieux de la nuit parisienne et des magasines de mode, il ouvre ce couplet :

 

« J'aime les filles de chez Renault 
J'aime les filles de chez Citroën 
J'aime les filles des hauts fourneaux 
J'aime les filles qui travaillent à la chaîne »
 

 

Ou encore dans Il est Cinq heures Paris s’éveille, Dutronc parle de ces ouvriers et salariés qui commencent leur morne journée dans les transports en commun :

 

« Les banlieusards sont dans les gares. 
À la Villette on tranche le lard. 
Paris by-night regagne les cars. 
Les boulangers font des bâtards. …

Les journaux sont imprimés. 
Les ouvriers sont déprimés. 
Les gens se lèvent, ils sont brimés 
Et moi, c'est l'heure où j'vais me coucher. »

 

Dutronc souligne aussi l’indigence du dialogue social au sein de la société capitaliste en imaginant un dialogue entre un syndicaliste réformiste et son patron ( L’augmentation -1968) : 

 

« Et bien patron, et bien voilà 
(Y a un des types qui n'aime pas ça) 
J’aurais bien voulu, vous parler 
Mais je ne voudrais pas vous déranger 
(Vous m'avez déjà dérangé)

Nous sommes sortis de son bureau 
Il nous avait tourné le dos 
On a pas pu placé un mot 
Mais demain, demain 
Je vais retourner voir mon patron 
Lui demander une augmentation » 
C'est fini l'exploitation 
Augmentation ou démission 
»

 
Dutronc va aussi défendre les minorités et valeurs antifascistes toujours avec humour en composant : « hymne à l'amour moi l'nœud » (1980) avec Serge Gainsbourg, qui est en fait un ramassis d’injures racistes  le tout saupoudré par volonté provocatrice d’un cale
mbourg reprenant pour partie un célèbre titre d’Edith Piaf afin de tourner en dérision ces paroles : 

« Bougnoule, Niakoué, Raton, Youpin 
Crouillat, Gringo, Rasta, Ricain 
Polac, Yougo, Chinetoque, Pékin 
C’est l’hymne à l’amour 
Moi l’ nœud 
C’est l’hymne à l’amour 
Moi l’ nœud »

 
Dutronc va procéder ainsi à une critique du capitalisme et des politiciens dans des chansons comme qui se soucie de nous?  (1987). Cette dernière chanson s’en prend directement aux politiciens qui semblent loin des réalités des gens qu’ils prétendent gouverner et continue à marquer non la désillusion mais la défiance face aux gouvernants : 
 


« vous êtes les cracks de la ruse 
vous avez la science infuse des zones ministrées 
vous avez du bol et bien sûr le monopole 
c'est tout juste dans la colle…

on vous a écoutés on vous a regardés 
on vous a supportés on vous a clamés 
on vous a acclamés on vous a réclamés 
on peut plus vous respirer »
 

 

 

 L'opportuniste  (1969) vient ainsi clairement enfoncer le clou sur le reflux de mai 1968 :

 

« Il y en a qui contestent 
Qui revendiquent et qui protestent 
Moi je ne fais qu'un seul geste 
Je retourne ma veste, je retourne ma veste 
Toujours du bon côté 
 
Je n'ai pas peur des profiteurs 
Ni même des agitateurs 
J'fais confiance aux électeurs 
Et j'en profite pour faire mon beurre 
»
 
 

 Le petit jardin (1972) s’en prend au développement anarchique des villes au détriment des espaces naturels sur un ton volontairement niais renforçant l’aspect de combat inégal  de la personne qui demande « grâce » de manière poétique face au promoteur implacable qui cherche à détruire: 

 

« De grâce, de grâce, monsieur le promoteur 
De grâce, de grâce, préservez cette grâce 
De grâce, de grâce, monsieur le promoteur 
Ne coupez pas mes fleurs 
C'était un petit jardin 
Qui sentait bon le Métropolitain 
A la place du joli petit jardin 
Il y a l'entrée d'un souterrain 
Où sont rangées comme des parpaings 
Les automobiles du centre urbain 
». 
 

 

Dutronc va aussi de manière très claire se faire le critique de la position de l'artiste face à la société dans la chanson  sur une nappe de restaurant  (1966) :

 

« Sur une nappe de restaurant 
J'ai écrit cette chanson 
En pensant à tous les gens 
Qui ne mangent que du plancton 
Evidemment hé hé ça va de soi hé hé 
Ça va de soi hé hé évidemment 
Dans ma voiture de champion 
J'ai fredonné cette chanson 
En pensant à tous les piétons 
Qui n'ont pas quelques millions 
Evidemment ça va de soi 
Ça va de soi évidemment ». 
 

 

Cette chanson sera d’ailleurs reprise par le groupe de Punk français Reich Orgasm en 1984.  


Par ailleurs il se moquera des groupes chantant en yaourt tout en prenant pour prétexte de glisser une phrase des plus irrévérencieuses dans « merde in France » (1984).

 

Il soulignera aussi l’exploitation des artistes par les sociétés de production, car Dutronc avait débuté sa carrière en travaillent au sein de l’une d’entre elles :

(« L’Idole – je n’en peux plus » -1970). 

« Ils vont me tuer 
Je vais crever 
Tous ils m'exploitent 
Jusqu'à me battre 
 
Et puis mon impresario 
Il s'enrichit sur mon dos 
Non coco faut l'faire 
C'est pour minuterie 
Les filles qui s'jettent sur moi 
Celles qui escaladent le toit 
Celles qui disent et moi et moi 
Oh comme je m'en mords le chinois »
 
 
En somme Jacques Dutronc en refusant en grande partie le système  du show-business (alors qu'il est devenu une icône) et par ses  chansons qui derrière leur légèreté sont  bien plus profondes que  celles de bien des chanteurs engagés (comme Jean Ferrat qui a passé son temps à sermonner son public. Dutronc s’inscrit dans une ligne innovante qui cherche à donner une dynamique nouvelle et à rompre avec le monde ancien.

 

Jacques Dutronc derrière une désinvolture  et une nonchalance assène avec assurance des coups sur des thématiques récurrentes de son œuvre : la désillusion politique, l’opportunisme, la quête de l’argent facile, les comportements individualistes, la soumission, la domination, le cynisme... il fait donc œuvre de manière bien plus polémique que beaucoup d’auteurs « engagés ». Dutronc fait date et apporte une culture nouvelle avec un esprit d’avant-garde.  

 

 

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commentaires

R
<br /> <br /> "on nous cache tout, on nous dit rien,<br /> <br /> <br /> on nous informe vraiment sur rien..."<br /> <br /> <br /> à (re) découvrir d'urgence, Dutronc !<br /> <br /> <br /> <br />
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